Daphné Vachon a décidé de faire de l'art thérapie par survie et nécessité. Avant d'avoir des enfants, elle était professeure d'art plastique et l'art thérapie était son projet de retraite. C'est après avoir eu ses 3 enfants que Daphné s'est rendu compte qu'elle ne voulait pas retourner travailler dans les écoles : «Je ne voulais plus de l’horaire qui me disait que j'allais manger ma pomme à 14h15.»
«C'était facile pour moi de bifurquer vers l'art thérapie, alors je suis allée vers la maîtrise au niveau de l'art thérapie. Puis, c'est venu tout naturellement de cibler la population de la femme adulte ayant vécu des agressions sexuelles. Je vois d'autres clientèles adultes, mais surtout des femmes en partie parce qu'il y a une quinzaine d'années, j'ai vécu une démarche de guérison et ma vie a changé du tout au tout!»
Daphné a donc continué de s'impliquer auprès des centres d'aide aux victimes d'agressions sexuelles. C'est aussi comme ça qu'elle a pris conscience qu'elle voulait travailler un peu là-dedans. Oeuvrant principalement dans l'Outaouais, son métier d'art-thérapeute est assez méconnu.
«Faire connaître l'approche et défaire les tabous sont mes plus grands défis. Je dois travailler avec plusieurs tabous en même temps. Avec les agressions sexuelles, avec la thérapie, la santé mentale. Défaire les stéréotypes reliés à tous ces tabous. Les gens croient encore que seuls les fous consultent, qu'ils sont faibles, qu’une agression sexuelle, c'est un viol dans une ruelle, tandis qu'il y a plein d'agressions qui se font tout doucement, très subtilement et il y a beaucoup de femmes qui ne savent même pas que c'est ça qu'il leur ait arrivé. J’aimerais faire connaître mes services comme étant quelque chose d'utile, d’accessible et de normal.»
Évidemment, il faut prendre contact avec un thérapeute le plus tôt possible. «Je ne suis pas trop certaine de cette statistique, mais il me semble qu’il se passe en moyenne 14 ans entre l’événement déclencheur et la démarche en thérapie. Au début, les gens pensent s'en sortir seuls, mais il y a des conséquences. Ils y tentent par toutes sortes de façons, mais ne réussissent pas. Une fois au bout du rouleau, ils consultent. Les mauvais plis sont déjà bien ancrés. Il ne font donc pas attendre d'être complètement démolis et à terre pour prendre un premier rendez-vous avec un thérapeute.»
Daphné est surtout spécialisée dans les troubles liés aux agressions sexuelles et les conséquences qui en découlent. «On ne parle pas pendant vingt rencontres de l'agression sexuelle en tant que telle, mais on parle d'anxiété, du stress post-traumatique, de dépression, des difficultés au niveau de l'intimité et de la sexualité, du sentiment de sécurité. Parfois, il peut y avoir des conséquences déclenchées par une relation avec un voisin ou un patron, par exemple. Ce n'est pas toujours directement lié à l'agression sexuelle. Les tentacules des conséquences sont très larges : le deuil, on le voit à travers les agressions, dans le sens où il faut parfois faire le deuil symbolique des relations familiales ou de l'enfance qu'on n’a pas eues. Le deuil de la mort en soi, j'en vois des gens comme ça, mais ce n'est pas ma spécialité. »
Mais ça mange quoi en hiver, l'art thérapie? «Ça ressemble à de la psychothérapie traditionnelle verbale, dans le sens que c'est souvent sous forme de rencontre hebdomadaire ou aux deux semaines. On parle pendant l'art thérapie, mais ce n'est pas le mode d'expression principal. Ça se passe beaucoup au niveau de la feuille ou de la création, comme une dynamique à trois. Habituellement, c'est une dynamique à deux, entre le thérapeute et la personne. Mais là, il y a la création qui est comme un autre acteur là-dedans. On peut dialoguer avec l'image, avec les couleurs, avec les formes. »
Et ce n'est pas Daphné qui interprète l'image. «Souvent, les gens pensent que c'est ça, une approche où la personne va faire un dessin et la thérapeute va dire : tu as utilisé beaucoup de noir, ça veut dire que tu es déprimé, mais l’interprétation n’est pas du tout plaquée comme ça. Par exemple, si la personne qui adore les chiens dessine un chien et que moi, je me suis faite défigurée par un chien, bien je peux interpréter que chien est un signe de danger. »
Membre de l'association des art-thérapeutes du Québec, Daphné mentionne que le titre d'art-thérapeute n'est pas protégé légalement, donc quelqu'un pourrait dire qu'il a fait des ateliers de croissance personnelle en peinture et se déclarer art-thérapeute. «Ça, c'est dangereux, car si tu ouvres quelque chose que tu n'es pas capable de refermer, tu peux mettre les gens en danger. Il est très important de vérifier les compétences des thérapeutes, art-thérapeutes ou autres. »
Et qu'en est-il de l'entourage des victimes d'agressions sexuelles? Peut-on faire appel à l'art thérapie? «Les agressions sexuelles réveillent des choses dans toute la famille. Que ce soit le conjoint de la femme qui a vécu l'agression, que se soit le parent de l'enfant qui a été agressé, le sentiment d'intrusion et de danger affecte plus que la victime. La réaction de la personne qui a été agressée aura des répercussions sur son entourage immédiat. »
Daphné me parle ensuite de l’hyper sexualisation de nos adolescents. «Même si ce n'est pas une agression proprement dite, cela a beaucoup d'influence sur notre société et c'est quelque chose sur lequel je travaille aussi en art thérapie, au niveau de l'identité, quand ce ne sont pas des gens qui ont vécu des agressions sexuelles. »
L'art thérapie peut aussi servir à travailler sur le concept de la vraie femme ou du vrai homme. «Pour sortir les femmes des stéréotypes qui les empêche d’atteindre des objectifs comme de se partir en affaire, ce qui est beaucoup moins encouragé chez les femmes que chez les hommes, ou pour faire en sorte que les hommes soient bien dans leur nouvelle identité masculine en 2015.»
Le sujet de la pornographie fut effleuré pendant l'entrevue, car il va de soi que ce n'est pas la bonne façon de recevoir une éducation par rapport à la sexualité. «Sans parler que même les adultes peuvent se penser à côté de la traque, ne pas se penser assez bon ou pas assez homme ou femme et que nos jeunes grandissent avec ces mensonges-là qui sont malsains. »
J'ai beaucoup d'admiration pour cette mère en affaires, qui non seulement a fondé son entreprise pour faciliter sa conciliation travail-famille, mais qui se bat pour aider les gens dans un domaine rendu très difficile par tous ces tabous.
Révision: Josée Goupil