Dans la vie, il y a de ces gens qui portent en eux une force et une volonté à toute épreuve. Des gens qui, quoi qu’il advienne, décident d’être les maîtres de leur destin. Ils avancent petit à petit toujours en regardant vers l’avant, confiant, positif, et sans jamais juger les autres.
Donia Antar fait partie de ces gens qui très tôt dans la vie savent ce qu’ils veulent et qui foncent malgré les obstacles.
J’ai connu Donia en 2001, juste avant le fameux 11 septembre, alors qu’elle effectuait un stage chez Pascan Aviation comme pilote, la compagnie pour laquelle j’étais moi-même pilote. Petite femme tunisienne, nous nous demandions tous si elle pouvait toucher les pédales…
Nous ne savions pas la flamme qui l’habitait alors. Une flamme longuement nourrit par un grand rêve d’enfant.
Un parcours de vie unique :
À l’âge de 9 ans, Donia a dit à ses parents qu’elle voulait devenir pilote d’avion. Elle en était absolument certaine. Ceux-ci, lui ayant toujours dit qu’ils la supporteraient peu importe ses choix et ses rêves, l’ont donc encouragé et aidé à accomplir ce grand rêve.
À presque 17 ans, Donia a donc quitté Casablanca (au Maroc) où elle a été élevée, pour aller réaliser son rêve à Chicoutimi (à l’école de pilotage CQFA).
Or, peu de temps après avoir obtenu sa licence et son premier stage comme pilote est survenu le 11 septembre…et tout son impact sur le milieu de l’aviation. Il était alors très difficile voire impossible de se trouver un emploi comme pilote. Elle s’est alors dit que personne n’allait décider de son avenir professionnel et a donc pris la décision d’aller poursuivre des études en génie, où elle décroche le prix ‘Excelle Science Chapeau les filles’’ (une reconnaissance pour les femmes qui performent dans un milieu très masculin), ce qui la mène à acquérir de l’expérience en tant qu’ingénieur mécanique spécialisée en aéronautique (entre autre chez Pratt & Whitney). Mais alors que le ciel lui manque de plus en plus, elle décide de retourner voler (Air Canada Jazz). Ayant une soif inouïe de se dépasser, elle décide en même temps d’entamer un MBA aviation. Elle quitte ensuite Jazz pour devenir pilote d’essai chez Bombardier (C-Series), une expérience plus qu’enrichissante qui lui a permis de voyager partout dans le monde. Puis, suite aux mises à pied où elle a été touchée, elle aboutit chez West Jet, où elle réalise qu’elle a envie d’une vie plus équilibrée et d’une perspective de carrière plus diversifiée. Elle vient tout juste d’obtenir un poste chez Transport Canada comme inspecteur de l’aviation civile, mais rêve déjà de devenir ministre des transport. Parions qu’elle va y parvenir!
Voici en vrac quelques questions que je lui ai posé :
Donia, tu as quitté le Maroc pour venir au Québec, à Chicoutimi. Quel a été ton plus grand défi à ton arrivée?
Au début, je ne comprenais pas les gens à cause de leur accent. Je posais beaucoup de questions pour comprendre surtout en classe. Un jour un professeur explique quelque chose en lien avec le moteur d’avion. Il dit que ça peut faire de la ‘broue’. Je demande à mon collègue ‘’merdre, c’est quoi de la broue?’’…il me dit ‘’demande-lui’’…et bien j’ai levé ma main pour demander au professeur!
Aussi, j’ai un peu emprunté l’accent…mais les gens pensaient que je venais de la Gaspésie!
Tu as toujours évolué dans des milieux professionnels très masculins, as-tu déjà eu à faire face à un moment difficile?
J’ai travaillé dans l’aviation dans une compagnie de 3e niveau où nous n’étions que 2 femmes pilotes. Quand j’ai fait mon PPC commandant (test en vol), un homme de la direction est sorti de son bureau et a dit ‘’je ne veux pas voir 2 lave-vaisselles dans mes avions’’. Ma réaction a été de rire. Je me suis dit que ce n’était pas sa faute, c’est une question d’éducation. Que ça ne valait pas la peine d’embarquer là-dedans, dans la provocation. Que ça allait nuire à ma qualité de vie au travail plus qu’autre chose. Dans de telle situation, il faut se développer une carapace, afin que les coups ricochent. Au final, c’est à ces gens que ça nuit.
Je ne me suis jamais laissé affecter par des commentaires de ce genre, mais je suis très capable de faire comprendre sans dire un mot lorsque je juge une attitude déplacée. C’est ma technique ‘body langage’!
En même temps, je suis toujours restée moi-même et j’ai toujours refusé de changer qui j’étais.
Est-ce que tu crois qu’il y a encore du chemin à faire pour les femmes canadiennes?
Le plafond de verre existe encore. J’ai vu dans des industries où ils disent ‘’on va engager des femmes…bla bla’’ mais quand il s’agit de vraiment agir, ça ne se fait pas.
Un jour j’ai compris ce que le plafond de verre voulait vraiment dire : les femmes peuvent voir le poste qui est à atteindre en levant la tête vers le haut, mais quand elles veulent décoller et l’atteindre, il y a cette barrière en verre.
Je pense que ça va changer avec la vieille génération qui va partir à la retraite. Il va y avoir un changement drastique. Quand je parle avec des hommes de 40 ans, c’est le jour et la nuit comparativement avec des hommes plus âgés. Les hommes plus jeunes n’ont pas été éduqués pareillement et ont une vision différente du rôle de la femme.
Tu dirais quoi aux jeunes femmes d’aujourd’hui?
Ayez confiance en vous, soyez fortes, et si quelqu’un vous dit quelque chose qui vous ébranle, ne le laissez pas paraître, ignorez la personne.
Aussi, la confiance en soi, on peut la développer. Il faut regarder ses réussites de manière cartésienne et se dire, si j’ai été capable de réussir telle ou telle chose, je suis encore capable de relever d’autres défis. Il faut apprendre à gérer son cœur et son cerveau et couper le lien de temps en temps et voir les choses en face, de manière rationnelle. Il faut avancer, il ne faut pas rester dans son coin et attendre.
Un jour, j’ai eu à changer les prises électriques chez moi…je n’avais jamais fait ça. Je me suis dit, bon ‘’j’ai un cerveau’ et c’est expliqué, et puis j’ai une perceuse, donc logiquement je devrais être capable! Je me suis dit que j’allais au moins essayer et que trois fils ne représentent pas une science nucléaire.
Qu’est-ce qui vous inspire?
D’un pont de vue professionnel, des gens autour de moi qui ont des carrières avec des postes extraordinaires…et un chemin diversifié. Mais si je devais nommer une personne, je dirais David St-Jacques, le nouvel astronaute québécois, aussi médecin. Je me souviens quand il a été nominé, j’ai dû lire l’article au moins 10 fois. Ça m’inspire, ça me montre qu’il n’y a pas de limite. Je me suis dit ‘’je veux être comme lui!’’
As-tu une idole ou un modèle?
J’admire les femmes de carrière qui sont arrivées au top en passant par des périodes beaucoup plus difficiles que moi je vais passer. Par exemple, la CEO de Pepsi, Indra Nooyi, une femme d’origine indienne (une minorité visible!). Ça me montre qu’il n’y a pas d’excuse pour réussir.
As-tu peur de quelque chose?
Moi, je veux avoir des enfants, mais j’ai peur d’avoir des enfants. C’est bien la seule chose qu’on n’est pas capable de contrôler…dans le sens qu’on ne sait pas qui ont va mettre au monde comme être humain. On n’a pas de ‘checklist’ ou de mode d’emploi et chaque personne est différente. Et j’ai peur de ne pas être parfaite. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. Toute ma vie est carrée et organisée, mais la perspective d’avoir un enfant, cela devient subjectif, et non plus cartésien. C’est de l’inconnu…mais je sens qu’il n’y a pas de place à l’erreur.
Finalement, as-tu un grand rêve?
Je rêve d’être CEO d’une grande compagnie aérienne. Ou encore, je rêve d’être une future ministre des transports.
Gageons qu'elle y arrivera!