Vaste question! D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais vraiment su ce que je voulais. Par contre, je savais sans aucun doute tout ce que je ne voulais pas. Je ne voulais pas perdre mon temps à l’école, alors je serais bonne élève pour ne pas avoir à redoubler. Je ne vous raconte pas la déprime lorsque j’ai raté mon bac, moi qui étais convaincue de l’avoir du premier coup!
Je ne voulais pas décevoir mes parents, alors je faisais semblant d’être celle qu’ils voulaient que je sois à la maison et je retrouvais ma personnalité à l’extérieur! Ma mère disait qu’une fille, ça portait des boucles d’oreilles et je n’aimais pas ça, surtout la paire horrible qu’elle me faisait porter! À peine la porte franchie, je les retirais et je n’ai jamais oublié de les remettre avant de rentrer. Pour mon frère, c’était l’inverse! C’était à la mode et tous les garçons en portaient. Ça lui allait super bien, alors il les mettait à l’extérieur et les retirait à la maison! C’est fou ce qu’on peut être attiré par ce que l’on n’a pas le droit de faire!
Je ne voulais pas que l’on choisisse mon mari à ma place, alors je suis partie de la maison lorsque c’est arrivé! Je ne voulais pas faire semblant d’être heureuse toute ma vie même si j’ai longtemps souhaité avoir la force de faire ce sacrifice pour sauvegarder l’honneur de ma famille! D’ailleurs, je ne sais pas comment les autres filles de mon quartier ont fait! De toute manière, les mensonges ne durent pas éternellement : elles ont fini par péter les plombs, divorcer et refaire leur vie comme elles l’entendaient. Je l’ai juste fait avant elles!
Je me suis toujours dit que j’avais le droit de penser, d’agir et d’être, alors j’ai commencé à écrire des chansons. Je me trouvais intéressante et je me rendais bien compte que j’étais différente. J’avais cette capacité à n’en avoir vraiment rien à faire de ce que les gens pensaient. J’étais sûre de moi et convaincue que j’avais raison (maintenant, avec l’âge, je suis devenue un peu plus lâche, mais c’est par politesse). Je ne voulais pas garder mes réflexions pour moi, alors j’ai fait du rap!
« Faut que je respire, que je me ressaisisse, que je me rassasie, je suis une résistante, faut que je respire de l’air pur avant qu’il s’évapore, je l’épure des parasites, je les paralyse, je m’approche des pyramides, faut que je respire, que je reste pure, que j’me ressaisisse, que j’me rassasie, je reste pas assise, je suis une résistante, donc je respire de l’air pur avant qu’il s’évapore! ».
De fil en aiguille, j’ai eu 33 ans. L’âge de mon premier bilan de vie, car avant, je n’ai pas eu le temps. Je vivais, et vivre prend beaucoup de temps. Sans m’en rendre compte, je suis devenue artiste, militante, entrepreneure, créatrice d’application mobile, initiatrice de la première plateforme multimédia de sensibilisation aux violences destinée aux 15-24 ans, présidente d’une association que j’ai créée. Je me retrouve même à être finaliste du concours Femmes du Digital Ouest 2016 et à devoir défendre mes projets devant un jury de plus de 200 personnes!
Je suis mariée, j’ai trois enfants, j’ai des vergetures horribles sur le ventre, mon mari comme mes enfants me prennent parfois la tête et je fantasme sur des vacances. Je suis très heureuse, parfois déprimée, je me sens belle et moche selon les jours, et je dis ce que je pense sans trop de tact et m’excuse quand j’abuse. Finalement, on fait plein de choses quand on ne sait pas ce qu’on veut. Savoir ce que je ne voulais pas a fait de moi qui je suis. Et à y regarder de plus près, je dirais même que c’est mieux que d’avoir des envies!
Révision: Josée Goupil
DIARIATE N'DIAYE
Diariata N’Diaye est une artiste engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes depuis près de 10 ans. En 2008, elle créé, avec son groupe Dialem le spectacle de slam « Mots pour Maux ». Avec ce spectacle, elle sensibilise le grand public, en particulier les jeunes 15-24 ans et les jeunes adultes, 24-30 ans. Citoyenne engagée et responsable, Diariata N’Diaye s’est formée aux mécanismes des violences et de leurs conséquences sur la santé auprès de professionnelles reconnues. Forte de cette formation interdisciplinaire, Diariata N’Diaye mène toujours le débat avec son public à la fin de son spectacle. Plusieurs municipalités, départements, régions et associations se sont appropriés ce spectacle comme outil de débat et de sensibilisation. Plus de 200 représentations-débats ont eu lieu sur l’ensemble du territoire national. Ce sont ainsi plus de 15 000 jeunes adultes qui ont bénéficié de ces sensibilisations depuis 2008. Diariata N’Diaye mène aussi des actions de sensibilisation plus approfondies à travers des ateliers d’écriture qu’elle propose aux collégiens et aux lycéens. À partir de l’expérience de ces ateliers menés sur plusieurs années, Diariata N’Diaye a pris conscience que ce public, touché par les violences, est mal informé et se trouve totalement démuni lorsqu’il y est confronté ou lorsqu’il en est témoin. Elle renouvelle le constat d’une forte méconnaissance des dispositifs existants lorsqu’elle intervient auprès d’un public plus large. Ces constats l’ont incitée à vouloir créer des outils permettant à l’ensemble des victimes de violences et à leurs proches d’accéder facilement à l’information. Elle créé et préside l’association Resonantes qui se spécialise dans la création d’outils modernes et innovants de sensibilisation et d’information sur les violences faites aux femmes destinés au jeune public. Le site d’information www.resonantes.fr et l’application mobile App-Elles en sont des exemples.