Dans le classique de la littérature anglaise, 1984, l'écrivain Georges Orwell avait imaginé un monde dans lequel on irradiait la liberté en éradiquant les mots du dictionnaire peu à peu; ainsi l'humain devenait contrôlable et servile, sans mots pour exprimer ses pensées ou ses désirs.
Suite aux événements des attentats en France, les mots, les avis, les pensées fusent de toutes parts. Par l'entremise des réseaux sociaux (ironiquement souvent décrit comme le Big Brother réel) plus que jamais, chacun a pu mettre des mots sur sa colère, sa tristesse, sa rage, sa compassion. Une vague déferlante de mots a inondé nos fils Facebook et Twitter. Des amitiés numériques se sont créées, ou "deletées", une lecture de commentaire à la fois.
Les mots sont soudainement devenus d'une gravité raisonnante. Certains s'en sont tenus à l'image, à la symbolique, ou au néant , attendant peut-être les mots des autres pour se faire une idée, mais même ces silences ont fait jaser! Les paroles s'envolent, mais les écrits restent, on le sait trop bien. Mais à notre époque où le mot est instantané et de courte durée, jusqu'au prochain « pop up », connaissons-nous bien la force que chaque petite lettre a pour ceux qui les lisent? Pesons-nous assez le poids de chaque mot?
Dans nos écoles, nous enseignons le texte argumentatif et narratif. Devrions-nous enseigner aussi l'art du statut Facebook? Ou l'art d'écrire ses pensées en 140 caractères? Si notre civilisation déploie ses paroles pour se rapprocher ou se haïr, ne devrait-on pas éduquer la génération future à utiliser son clavier afin de faire passer des messages clairs et sans équivoque? Ou a se taire, simplement?
Notre consommation de livres diminue drastiquement depuis plusieurs années. Malgré tout, nous semblons lire de plus en plus. Notre lecture quotidienne se résume souvent à des bribes de vies, des opinions spontanées, des articles et des commentaires publiés, partagés et recyclés par tout un chacun. Dans un monde où l’on peut être l'auteur perpétuel de son autobiographie journalière, et ce publiquement, sans limites géographiques, politiques, religieuses, nos mots font plus de bien et de mal que jamais. Est-ce que notre vocabulaire est à la hauteur?
La poésie n'est plus que l'adage des chansonniers, nous faisons par contre partie d'une nouvelle génération qui verra son pouvoir décuplé par son verbe, par la justesse de ses paroles, par la sensibilité d'une virgule bien placée. Il est temps de peser nos mots.
Révision: Josée Goupil