Leçons d'entrepreneures nées en 2125

Cela fait 10 ans que je suis journaliste à Elle Québec. J’ai fait mes débuts en 2084 et j’ai eu la chance d’être recrutée à la sortie de l’Université Laval-Vidéotron (L’Université a été rachetée par PKP en 2025, après sa défaite aux élections). J’ai failli quitter mon poste 10 fois depuis mes débuts, mais là, je sens que ma carrière décolle… on m’a donné un nouveau mandat ou plutôt une mission! Youpi, j’en ai vraiment assez de couvrir les musées de voitures à essence et les plantations de palmiers en Antarctique. Cette fois, on m’envoie faire un voyage dans le futur, en 2154. Eh oui, on a tellement fait de nombreuses fois le tour de la terre, que maintenant on visite l’espace-temps. Si on me donne cette mission, c’est parce que – aux dires ma boss- l’audace aurait disparu de la planète. Elle me propose d’enquêter. 

Pas de temps à perdre, je pars le soir même. J’appelle Viviane pour annuler ma venue au 5 à 7 de Femmes Alpha, je vais chez Jupon Pressé m’acheter une tenue avant-gardiste et printanière, je fais une caresse à mes chevaux pour leur dire au revoir et je me rends à l’aéroportemps pour aller en 2164. Ça me prend une seconde… Ouf ! il fait chaud !! Sitôt arrivée, je ne chôme pas, avec l’inflation, mes dollars de 2084 ne me permettent pas de rester longtemps.

Ma démarche est simple : passer en entrevue 10 femmes rencontrées au Starbucks méditation (l’équivalent d’un Starbucks Coffee, mais pour s’arrêter méditer). Elles me parlent toutes d’un événement marquant de leur vie. Ainsi, par exemple, Sonia* me parle de son changement de carrière, il y a 10 ans, alors même qu’elle avait un travail qui l’amenait à voyager dans toutes les époques; Andréa* de son engagement dans le monde de l’entrepreneuriat social qui l’a amenée à faire un voyage humanitaire en Europe pour les aider à se remettre de la Crise de 2150. Chloé*, elle me confie de son dernier coup de gueule auprès de son conseil d’administration, pour leur dire qu’ils n’avaient pas de vision ! Rébecca*, enfin, est à la tête d’une entreprise de 100 employés qu’elle a fondée alors même qu’elle n’avait que 5 ans lors de la Grande Journée des Petits Entrepreneurs (elle est aujourd’hui millionnaire). Et, ainsi de suite, dans toutes mes entrevues, ces femmes me parlent de moments marquants de leur vie où elles ont fait des choses que je qualifierais de risquées ou du moins un peu hors de l’ordinaire. Pourtant, quand je leur pose la question directement, aucune ne comprend le mot «audace». Elles me disent, un peu gênées, qu’elles ne comprennent pas le «vieux français». Mon enquête piétine… tout semble montrer que l’audace existe encore, mais personne ne semble comprendre ce que c’est. Je ne m’attendais pas à ça !

Tant qu’à être ici, je décide d’aller voir un vieil ami, Bryan ; un sage qui transcende les années. Il fête ses 180 ans le soir même … au Cercle ! (L’endroit n’a pas changé, je me sens vraiment chez moi). Là, tout s’éclaire quand il m’explique ce qu’il s’est passé en 80 ans : l’audace n’existe bel et bien plus, parce que ce que nous, nous qualifions d’audacieux -à notre époque- n’est désormais plus vu de la même façon. Et pour cause… l’audace n’est plus une activité outrageusement hors norme, osée ou iconoclaste qui présente des risques… non en 2154, l’audace est plus courante et s’appelle : une action divinement inspirée !

Finalement, l’audace a bel et bien disparue et c’est tant mieux. La leçon a tirer : ce que nous appelions naïvement «audace» est simplement l’écoute de l’élan du cœur. Pas fou ! ET DIRE QU’IL Y A DES GENS QUI AVAIENT COMPRIS CELA DÈS 2015 !?!!

* noms fictifs