Vous connaissez le Laurie-Raphaël? Vous savez, l’un des meilleurs restaurants du Québec? Vous avez sans doute déjà entendu parlé de Daniel Vézina, le chef cuisinier de ce fameux restaurant, ou vous l’avez vu comme co-animateur pendant 5 ans à l’émission Les Chefs !
Et bien au côté de ce grand chef, se cache une femme exceptionnelle, à la vivacité d’esprit et le sens de la répartie hors du commun. Une femme transparente et authentique qui n’a pas peur d’être simplement elle, vibrante et touchante. Suzanne Gagnon est l'un des piliers du Laurie-Raphaël et de l’entreprise remarquable qui a été construite autour du talent de son mari. Une gestionnaire hors pair qui a le pif des affaires et une vision, mais surtout une épucurienne et une aventurière qui aime le monde, pour vrai.
Je vous jure que je n’exagère pas. Suzanne Gagnon est certainement l’un de mes grands coups de coeur 2015. En plus, elle a eu la gentillesse de m’inviter à son restaurant où j’ai même eu la chance d’essayer des recettes inédites.
Suzanne, en bref
Issue d’une famille modeste mais remplie d’amour, Suzanne a passé les 15 premières annnées dans sa bulle. Enfant plutôt discrète voir timide, elle passait des heures à jouer seule en retrait dans son monde. Elle était tellement sage qu’il arrivait parfois à sa mère de l’oublier quelque part! Très jeune, elle a donc appris à vivre avec ses rêves et ses visions d'un monde plein de possibilités.
Or, malgré son côté timide, elle se sentait forte à l’intérieur. Même quand on riait d’elle à l’école, par exemple, elle ne se sentait pas affectée...car Suzanne était plutôt en vision d’une vie bien meilleure. Elle se voyait bien habillée avec un chignon et une mallette; elle allait faire des affaires! À ce moment-là elle se voyait banquière, ou même couturière! (adolescente, elle confectionnait elle-même ses tenues pour sortir en boîte!).
Étonnamment, Suzanne Gagnon se considérait très moyenne à l’école...à un tel point qu’elle a même dit un jour à un professeur ''vous savez moi monsieur, je ne suis pas très intelligente''. Il faut dire que ses frères étaient très forts à l'école avec très peu d'effort ...
Jusqu’au jour où son professeur lui a dit: ''il y a l’intelligence émotionnelle, l’intelligence sociale, l’intelligence intellectuelle...et tu es d’une grande intelligence car il n’y a pas plus curieuse et plus intéressée que toi dans la classe!'' Alors elle a décidé que dans la vie, elle allait bien utiliser sa matière grise!
À l'âge de 16 ans, Suzanne rencontre Daniel Vézina dans une boîte de nuit. Il lui avoue alors qu’il rêve d’être l’un des plus grands chefs cuisiniers du monde. Suzanne est impressionnée par ce jeune homme qui a un grand rêve: ''Wow, il a 18 ans et il a trouvé sa voie! c’est donc ben hot! Et puis, il travaillait dans une pâtisserie et sentait tellement bon. Il sentait la farine, le sucre...aujourd’hui on peut acheter des parfums d’ambiance; ben moi j’avais un humain d’ambiance!’’ Une grande histoire d’amour, de famille et de passion débute alors.
C’est à ce même moment que Suzanne découvre son vrai talent, celui d’aider les autres à réaliser leur rêve. ''Moi je suis un capteur de rêve. Je me suis dit que j’allais aider Daniel à réaliser le sien.''
''Les temps ont été durs dans les années 80; Daniel a été boucher, épicier, pâtissier et moi j’étais secrétaire juridique. Et ensuite nous sommes partis à l’aventure, faire le tour de l’Amérique du Nord pendant 1 an et demi. Ensuite, nous avons décidé de construire notre vie à Québec.''
Avant d’avoir des enfants, pendant 7 ans, elle est allée à l’université prendre des cours de soir pour son propre plaisir, pendant que Daniel travaillait 6 jours par semaine. ''J’ai fait des cours en marketing, en gestion, sur la langue française...je n’ai pas de diplôme, mais je n’avais pas envie d’aller à des cours qui ne me tentaient pas juste pour avoir un diplôme….je trouvais ça inutile. Je n’ai pas fait mes études stratégiquement, mais par pur plaisir. Et j’ai eu d’excellents résultats, car je n’étais pas stressée; je travaillais déjà (comme secrétaire juridique).''
Puis, vient le grand projet; l’ouverture du premier Laurie-Raphaël…sa grande fierté qui incarne sa mission d’être des marchands de bonheur dans les moindre détails, des boiseries aux portes-bouteilles, en passant par une cuisine locale hyper inspirée et des chemises des employés!
Pour moi, Suzanne Gagnon incarne à merveille cette mission.
Suzanne, quelle est ta grande force dans la vie?
Ma grande force est mon intelligence émotionnelle et mon intuition. Je ressens beaucoup les choses et les émotions, mais j’ai de la difficulté à mettre un nom dessus et à différencier la colère de la peine par exemple. Mais ça me rentre dedans par contre. Avant ça me gênait beaucoup.
Quels ont été tes plus grands défis et tes plus belles victoires?
Ma plus grande victoire professionnelle a été l’ouverture du restaurant Laurie-Raphaël en même tant que ma plus grande fierté personnelle celle d’accoucher de Laurie-Alex.... Elle avait 10 jours quand nous avons ouvert le restaurant. C’est là que j’ai su que j’étais une vraie de vraie entrepreneure.
J’ai monté le plan d’affaire moi-même, à la main, au plomb! Nous étions en pleine crise économique, et je me suis dit, pourquoi ça marcherait plus pour nous? J’ai pris mes 12 semaines de congé de maternité et on a parti le restaurant!
Bien sûr que mettre un enfant au monde, c’est incomparable...inquantifiable…
Ma deuxième victoire est quand on a voulu faire le premier livre de Daniel. J’ai fait le tour des éditeurs un à un mais personne ne voulait l’éditer. Alors, j’ai regardé mon chum et je lui ai dit ''je vais t’éditer moi. J’avais aucune idée de comment ça marchait! je ne savais pas ce qu’était un code ISBN, la distribution, etc. Je suis partie de zéro! et j’ai monté la compagnie d’édition et nous avons vendu 28 000 exemplaires du premier livre de Daniel que nous avons distribué nous-même avec le jeep. À l’automne on sort le 6e livre de Daniel et je te le dis, on va créer quelque chose de nouveau!
La troisième victoire est l’achat du restaurant de Québec, car nous sommes propriétaires de la bâtisse aussi.
La quatrième est l’ouverture du Laurie-Raphaël à Montréal dans l’hôtel Le Germain. Ça va faire 8 ans et c’est un beau cheminement.
Quel est le plus grand défi de ton travail?
Si tu me demandais ce qui est le plus difficile dans mon travail, je dirais que c’est le volet agent. Moi je suis l’agent de Daniel et c’est dur ce travail!
Qu’est-ce qui est difficile, être dans l’ombre?
Pas du tout, l’ombre me va très bien; la reconnaissance doit venir de l’intérieur et de mes proches. Je n’ai pas besoin d’être reconnue et d’être sur la presse publique, même si je l’ai été. Je ne travaille pas pour ça du tout. Je ne suis pas très stratégique par rapport à moi!
Mais comme nous sommes un clan avec une grande complicité, je me sens un peu débousselée si je ne me sens pas reconnue de ce noyau là, ma famille.
Je suis l’architecte de la vie professionnelle de Daniel. Être agent, c’est être entre l’arbre et l’écorce. Il y a toujours deux parties qui ne sont pas contentes! Ce n’est pas facile, surtout quand on a à négocier avec l’éditeur, le producteur, le distributeur et qu'ensuite on se tourne vers son artiste et qu’on réalise qu’il ne se sent pas toujours entendu ou reconnu .... Donc on est toujours entre l’artiste et le distributeur ou diffuseur ou producteur! Et l’agent, moi, doit avoir une structure très très solide. Quand je dois contrôler les insécurités de mon artiste et faire face à un empire qui veut avoir les droits de ci et de ça, je dois manoeuvrer pour conserver ce qu’il y a de plus important au niveau des valeurs intellectuelles et créatives de Daniel tout en m’assurant de ne pas perdre le projet.
C’est comment d’avoir une entreprise familiale?
Je crois qu’il y a plus d’avantages que de désavantages. Ça prend beaucoup d’intelligence émotionnelle pour que tous les membres de l’équipage se sentent entendus et respectés. Mais ça va vraiment bien. On se voit même le week end pour se faire des soupers! Et nous sommes tous complémentaires. Et en plus nos enfants ont leur propre vision et veulent faire évoluer l’entreprise! C’est très positif.
Quels sont les forces des femmes en affaire ?
L’intuition. Je pense qu’on ne peut pas enlever ça aux femmes. Les hommes partent à la guerre, mais la femme est une stratège, protectrice et intuitive. On ne va jamais faire les choses comme les hommes. Mais on aime comment les hommes sont! On aime leur côté conquérant, qu’ils prennent soin de nous.
Tu as dû faire beaucoup de cheminement dans ta vie et peut-être à travers d’autres vies pour penser comme cela. Moi ça m’a pris du temps pour comprendre qu’on pouvait réussir sans jouer à être un homme. (Joëlle)
Moi aussi j’ai utilisé ma grosse voie et j’ai frappé sur une table avec mon poing pour faire entendre mon point de vue, parce que je ne voulais pas qu’on me perçoive juste comme une fille sexy en mini-jupe. C’est comme les femmes dans le milieu des finances qui doivent jouer un peu à l’homme.
Je dirais que l’intuition, la créativité, la protection et le calme, dans les CA par exemple, pourraient nous amener à la modération et à la conscience. Je le sens vraiment comme ça.
Qu’est-ce qui est important pour toi dans la vie?
Le plus important pour moi, c’est l’authenticité, d’être cohérente avec moi-même et l’honnêteté. Je déteste les menteurs! J’aime la transparence et la cohérence des gens. Je n’aime pas que quelqu’un me dise quelque chose et que ces gestes ne veulent pas dire la même chose. J’aime les gens qui sont capables de dire la vérité. Moi je suis une naïve et j’ai confiance à la base...je suis limite candide. Mais la vie m’apprends que je dois faire attention avec ça…
Un jour on a fait une transaction et l’avocat m’a dit: ''aye ma petite, n’oublie jamais une chose, tu as 37 employés, et bien part du principe que tu as 37 voleurs.''
Alors que pour moi, c’était 37 personnes à nourrir. Moi je ramène tout à l’humain. Quand je mange du homard, moi je pense au pêcheur. Je sais que j’exagère peut-être un peu, et heureusement je ne l’exprime pas toujours, sinon on va penser que je suis folle!
S’il fallait que je me couche le soir en pensant que j’ai 37 possibilités de me faire voler...ça ne serait pas possible!
As-tu peur de quelque chose?
(Cette question n’a pas eu un franc succès, car Suzanne n’a vraiment pas l’air d’avoir de vraies peurs! et c’est ben correct).
J’ai peur de rien…J’ai peur de perdre contrôle...ou de perdre ma créativité…
Mais ce n’est pas une vraie peur ça!
Je n’ai pas peur de mourir, ni même de souffrir avant de mourir, parce que tout va bien aller ! Mais je dirais, que la pire des peur est celle de perdre un enfant, ou même mon amoureux! Aussi, je ne veux pas me perdre moi...perdre mon essence. Oui, je ne veux pas perdre la personne authentique que je suis à l’intérieur, le regard que je porte sur moi.
Qu’est-ce que la réussite pour toi?
La réussite pour moi, c’est quand je ressens plein de joie par rapport à quelque chose que j’ai accompli. Ça peut être un repas que j’ai fait pour Daniel par exemple! La réussite c’est quand je suis fière de quelque chose que j’ai accompli, que ce soit une stratégie marketing, mes enfants, créer des soirées...je suis beaucoup dans la reconnaissance et la gratitude.
Ça doit être stressant de cuisiner pour un grand chef!
Pas pantoute! Normand Laprise est venu manger il y a quelques semaines...je leur fais tout ce que je maîtrise, je ne m’improvise pas. Ils sont tellement contents les chefs quand on les invite! On est jamais invités nous dans la vie! Les gens sont trop stressés. La dernière fois c’est il a 2 ans! C’est pas drôle!
Mais habituellement, quand on va chez des amis, on cuisine en gang, rien de compliqué. Ça les stresse moins. On est tellement pas compliqués!
Avais-tu des rêves enfant?
Moi j’ai les deux pieds dans ce que je voulais faire. Sauf qu’aujourd’hui par contre, mes rêves se portent ailleurs et sont beaucoup plus spirituels, personnels et universels. J’aime la matière, la terre, et j’aimerais beaucoup me ramener à l’essentiel. Comme ce soir, je commence mes cours de yoga. Mon rêve c’est de commencer à prendre plus soin de moi, parce que j’en ai donné beaucoup aux autres. Ça me fait plaisir, mais j’aimerais m’en donner un peu plus. Faire plus de méditation, avoir des massages au moins deux fois par mois.
Que dirais-tu aux jeunes femmes?
Nous les femmes sommes prises avec la culpabilité. On a de la difficulté à s’arrêter pour se reposer quand on en a besoin. On culpabilise quand on est pas au travail, on culpabilise quand on est pas avec notre famille, quand on est pas des bombes de sexe avec nos chums parce qu’on a pas dormi de la nuit ou qu’on a travaillé beaucoup trop d'heures dans une semaine. C’est juste les femmes qui font ça! Les hommes beaucoup moins. Mon chum lui se donne à 150% mais quand il arrive à la maison, la sexualité pour lui, c’est une détente....alors que pour moi, quand je suis fatiguée, ce n’est pas une détente tant que ça!
Nous les femmes, ça se passe vers l’intérieur, comme notre sexe. Eux, c’est à l’extérieur. C’est pas compliqué, on est des orchidées.
Donc les femmes, on doit laisser la culpabilité et se garder un petit coin pour nous toute seule...moi je te dis ça et j’arrive à 50 ans et je commence! Nous les femmes, on trouve notre individualité dans l’amitié féminine. Parce qu’on dit tout; quand on est épuisée, quand on a de la peine, quand on en a marre, on se confie à nos meilleures amies, sans jugement.
Et je te poserais la même question pour les jeunes hommes: que leur dirais-tu?
Soyez alertes sur les signes de votre conjointe. Arrêtez de vouloir trouver des solutions, faites des actes! Quand on se confie parce que ça ne va pas bien, souvent les hommes ont tendance à nous donner des conseils ''tu devrais faire telle ou telle chose''. Non! c’est une paire de bras qu’on veut. Écoutez messieurs, prenez-les, laissez-les pleurer, ne trouvez pas de solution et donnez leur un petit verre de vin! Ça va bien aller!
La passion de Suzanne
(Vers la fin de l’entrevue, Suzanne me confie qu’elle est une grande aventurière)
Tu ne m’as pas demandé ma passion, mais c’est le voyage et la lecture.
Pour mes 50 ans, j’ai décidé de m’offir un voyage avec chaque membre de ma famille proche et avec mes meilleurs amis, et je les ai tous fait! Je suis allée au Myanmar pendant 1 mois avec Laurie, j’ai été dans les îles Hawaïennes avec Daniel, et je suis aussi allée en Russie avec un grand ami de longue date avec qui j’ai aussi fait le Danemark et la Suède. Là, je vais aller en Egypte faire une croisière en voilier sur le Nil avec une copine. Je vais aussi amener Raphaël faire la route des thés au Japon. Mon chum aime aussi les voyages, mais il n’est pas aussi aventurier que moi. Il préfère les voyages qui demandent un effort physique ou le dépassement de soi comme Compostelle ou le Kilimanjaro (qu’il vient de monter en juin).