1er mai 2015 : date à laquelle je suis devenu un homme
Dans plusieurs sociétés ancestrales, il y avait un rituel de passage de l’adolescence au monde adulte. Celles-ci y voyaient là un geste important pour amener le jeune homme à une maturité émotionnelle plus grande et lui confirmer qu’il est maintenant prêt à faire face à la vie par lui-même. Dans mon fort intérieur, j’ai longtemps senti que je n’avais jamais vraiment fait ce passage malgré les apparences extérieures : une situation de vie confortable, une belle grosse maison dont je suis le propriétaire, un travail d’ingénieur socialement reconnu et une famille dont j’ai la charge financière. Mais voilà qu’à l’automne 2014, après 25 ans à œuvrer dans un domaine que je n’ai pas choisi avec mes « trippes », je décide de faire un changement de carrière motivé par un appel de plus en plus audible de mon cœur. Quelques mois plus tard je décide de laisser ma femme après 15 ans de mariage basé sur la co-dépendance, dans lequel j’étais largement soumis aux aléas de ses émotions exacerbées et où il y avait peu de place pour l’expression de mon identité profonde. Puis vint le deuil de la grosse maison, de la famille unie, du couple solidaire jusqu’à la mort, bref d’un idéal de succès que je m’étais juré d’atteindre alors que j’étais adolescent. Oui j’ai abandonné cet idéal pour accueillir la réalité… ma propre réalité. Depuis cette transition, je ne vis plus dans l’illusion d’un personnage que j’avais créé au fil des années et je me tourne vers la personne que je suis véritablement. J’ai accepté de faire de la place à mes sentiments sans les juger ou tenter de les changer. J’ai choisi de m’accueillir comme je suis et comme je me sens, même si ce n’est pas toujours reluisant, puis d’agir en cohérence avec cela. L’extérieur n’est plus ma référence, c’est plutôt mon intériorité qui l’est maintenant.
Le passage n’a pas été sans douleur. J’ai dû lâcher prise sur certaines choses et en faire le deuil afin de m’ouvrir à l’appel de cette vie en moi qui me parlait tout bas. Comme le bébé doit sortir de l’utérus ou le mourant doit quitter la terre, le jeune homme doit un jour faire un « coming out » identitaire afin de vivre et d’agir en lien avec lui-même. Pour ma part, en osant l’authenticité et en disant mes véritables sentiments à ma conjointe, j’ai dû reconnaître mes besoins et composer avec les nombreuses émotions que ce geste occasionnait en moi. Ce fut très difficile pour le garçon de percer sa coquille car il avait appris à être gentil et à ne pas trop s’affirmer par crainte de faire mal à ses proches. J’avais peur aussi de mes émotions sombres, surtout celles qui ont trait à la culpabilité, au remords et à l’échec. Mais j’ai décidé de les recevoir avec un amour que j’ai puisé dans le respect profond de ma personne et de mon droit au bonheur. Oui je mérite d’être heureux et bien, même si mes parents ne l’ont pas été et même si ma conjointe ne l’est pas. J’ose écouter mon cœur qui m’invite à le suivre malgré mes peurs et mes doutes.
Je n’ai pas toutes les réponses sur ce que l’avenir me réserve mais j’ai confiance en cet amour envers moi-même que je ressens de plus en plus. L’adulte que je suis enfin devenu après 49 ans est maintenant capable de faire face à lui-même et a pu sécuriser l’enfant qui tremblait à l’intérieur de lui auparavant.
Réviseur: Philippa Jabouin